mardi 18 décembre 2007

Bonne Nouvelle

Le New Jersey est devenu lundi le premier Etat américain depuis plus de quatre décennies à abolir la peine de mort.Le texte législatif, signé par le gouverneur John Corzine et approuvé la semaine dernière par l'Assemblée et le Sénat du New Jersey, remplace la peine capitale par la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.La mesure permet à huit hommes d'échapper à la peine de mort dans l'Etat. Dimanche, le gouverneur Corzine a signé des ordonnances commuant leur peine en réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.Bien que le New Jersey ait rétabli la peine de mort en 1982 -six ans après la décision de la Cour suprême américaine d'autoriser les Etats à reprendre les exécutions-, aucun détenu n'a été exécuté dans l'Etat depuis 1963.Les derniers Etats à avoir aboli la peine de mort sont l'Iowa et la Virginie occidentale, en 1965, selon la Coalition nationale pour l'abolition de la peine de mort.

mercredi 17 octobre 2007

Hommage


"Cher Farley, (pourquoi faire semblant, alors que c'est à toi que je pense à cette heure)


Déjà un an que la justice des hommes... quelques hommes, car la majorité se contrefiche de la justice, la majorité, on lui fait plus mal en lui augmentant ses impôts qu'en rétablissant la peine de mort... Non, c'est un mauvais début.

Déjà un an que la justice des hommes... celle de Dieu est depuis longtemps consommée : nous allons tous mourir un jour. Il nous reste parfois à décider où, quand et comment. Toi, tu n'as pas eu à décider où et quand ("A partir du moment où je suis arrivé à Huntsville, le poison a commencé à couler lentement dans mes veines...") mais tu as su répondre au comment, et ayant résolu d'y vivre debout, tu y es mort debout... C'est pourquoi ils vous allongent sur ce brancard ?... Non. Je m'étais promis d'éviter tout cynisme.

Déjà un an que la justice des hommes... la justice des hommes, nous le savons bien, s'édifie par un combat permanent. Qu'est-ce qu'un Etat de Droit sinon un Etat qui garantit au plus faible de ne pas se faire impunément croquer par l'appétit du plus fort... Ca nous ramène à la vie. La vie est une profonde injustice, car c'est toujours celui qui a le plus faim (de gloire, d'amour, d'argent...) c'est toujours lui qui gagne. Tu sais pourquoi il y a des pucerons ? Parce que les fourmis en ont besoin. Quand il n'y en a pas assez, les fourmis cultivent des élevages de pucerons... Et tu sais pourquoi il y aura toujours des criminels ? Parce que les gendarmes en ont besoin. C'est un fait, les gendarmes ont davantage besoin des criminels que l'inverse... Pourquoi y a-t-il autant de lois ? On dit couramment que c'est pour se protéger des criminels, alors que manifestement ce sont les lois qui criminalisent les hommes... Non. Je ne peux pas commencer ainsi.

Déjà un an que la justice des hommes a jeté son dévolu sur toi pour t'envoyer valdinguer dans les poubelles de son histoire. Tu n'y es certes pas seul, et sans doute en meilleure compagnie que ceux de tes compagnons d'infortune qui hantent les tribunaux à la recherche d'une fantomatique justice humaine... Non, ça ne va décidément pas du tout.

Farley, déjà un an que la justice des hommes a fait son oeuvre et tu me manques. Un jour, après une représentation de "ce que vivent les loups", quelqu'un m'a demandé : " mais pourquoi votre condamné est-il aussi beau ?" J'ai d'abord répondu que ce n'était pas le mien, mais sans me laisser finir, le quelqu'un a insisté : "Il s'exprime beaucoup trop bien. Tout ce qu'il dit... Je ne pense pas que les condamnés à mort s'expriment de cette façon !
- Et, si vous permettez, comment s'expriment ils selon vous ?
- Je ne sais pas mais pas comme ça."
Alors j'ai essayé de lui expliquer qu'il s'agissait d'une fiction, et que le rôle d'une fiction était de nous donner à voir quelque chose de nous-même. Par exemple dans son cas, cette personne pouvait se demander pourquoi elle attendait forcément d'un condamné à mort qu'il s'exprime comme un charretier. D'ailleurs les charretiers ne sont pas plus souvent criminels que les boulangers, les plombiers, les banquiers ou les auteurs de théâtre, n'est-ce pas... Le quelqu'un m'a alors répondu qu'aux USA puisque c'est là que se situait l'action, et au Texas plus qu'ailleurs puisque c'est d'ici que les faucons de Bush ont pris leur envol, les analphabètes sont légion. J'ai répondu à cette personne qu'elle était mieux renseignée que moi... et nous sommes passés à autre chose. Je crois qu'il est impossible d'écrire une fiction "réaliste" sur ce qui se passe au Texas tout simplement parce que personne ne peut la tenir pour vraie. Mais face à cette réalité-là, il est possible de donner à voir ce qu'il reste dans le coeur d'un homme à qui le système répète inlassablement : "tu n'es qu'une ordure, et tu vas mourir comme une ordure". Tous les plus beaux chants des hommes sont ceux qui s'élèvent contre ce genre de forfait. Et toi, Farley Matchett, indépendanmment de ce que tu as été avant ça, tu fais partie de ceux qui ont poussé leur voix vers ces accents de vérité qui donnent envie de croire au genre humain. Tu as pu le faire parce que des êtres humains (quelles que soient leurs motivations initiales) ont daigné prêter une oreille attentive à ce que tu avais à dire. Tu n'es plus là (même si en nous...) mais d'autres, ayant saisi le témoin d'un relais sans fin, continuent de faire entendre leur voix par-dessus le brouhaha ambiant, d'autres dont mon oreille ne peut s'empêcher de trouver le chant plus mélodieux que toutes les promesses de bonheur qu'on essaie, à grand renfort de propagande, de nous faire avaler du petit-déjeuner jusqu'au coucher. Tu n'es plus là, mon frère, mais ton combat se poursuit sur des voies que tu as grandement contribué à déffricher. Un jour prochain peut-être, nos enfants pourront marcher sur ce chemin en toute sécurité et sans craindre à tout moment que la foudre de la justice humaine ne s'abatte sur eux... Pour tout cela et pour le reste, je te remercie, Farley, toi et tous les tiens qui vivez la bouche ouverte alors qu'on voudrait tant vous clouer le bec, quand ce n'est pas vous écraser la gueule.

Ps (pour répondre à quelqu'un) : J'ai écrit d'autres pièces, dont certaines mettent en scène des gens honnêtes, des gens de pouvoir, ou des gens de politique parfois aussi, et j'ai remarqué qu'ils ne s'expriment jamais aussi bien que "mon" condamné à mort. Il existe même dans une de mes pièces un ministre de la culture bègue... allez savoir pourquoi, mais je le trouve très réaliste.
Jean Marc Weber

Toujours la nuit

En 1976, la Cour Suprême des Etats-Unis a rétabli la peine de mort. Le 2 décembre dernier, Kenneth Lee Boyd, 57 ans, a été exécuté. Il était la 1000e personne à être mise à mort aux Etats-Unis, depuis 1976.
Prenons le temps de ressentir le poids terrible de ces chiffres, de ce meurtre et des 999 autres qui l’ont précédé.
***Le meurtre judiciaire est un affront à la dignité humaine, une sordide loi du Talion, indigne de nous, mais qui traverse, hélas, toute l’histoire humaine.
Cela perdurera jusqu’en 1786. C’est en effet cette année-là que le Grand Duché de Toscane devient le premier État souverain à abolir la peine de mort. On peut n’y voir, sans doute, qu’un mince trait de lumière dans la sombre nuit de la vengeance: mais il ne va plus cesser de grandir, de s’amplifier et de faire reculer les ténèbres. En 1945, 13 États abolissent à leur tour la peine de mort. Aujourd’hui, 120 pays et Territoires l’ont abolie, de jure ou de facto. Ce sont là 120 traits de lumière lancés contre la nuit, 120 étincelles qui composent un vibrant brasier qui, si nous le voulons, finira par éclairer le monde comme un jour neuf.
Si nous le voulons; et si nous luttons. Car il ne faut pas se le cacher : la situation reste sombre et l’avenir incertain.
Aujourd’hui encore, hélas, 76 pays maintiennent la peine de mort. En 2004, au moins 3797 personnes dans 25 pays et territoires ont été exécutées. Et 7395 personnes ont été condamnées à mort dans 64 pays. 97% des exécutions, en 2004, ont eu lieu en Chine, en Iran, au Vietnam et aux Etats-Unis.
Aux Etats-Unis où, justement, Farley Matchett, pour qui nous sommes réunis ce soir, croupit, depuis 13 ans, dans une cellule du couloir de la mort, aux États-Unis où le système d’imposition de la peine capitale n’est pas seulement et comme toujours ignoble et inhumain mais est aussi notoirement arbitraire et discriminatoire.
Il tue, de manière disproportionnée, des Afro-Américains et des pauvres.
Il a tué des déficients intellectuels, il a tué des mineurs.
Il condamne très certainement à mort des innocents, comme le montre le fait que 122 personnes ont été relâchées des couloirs de la mort en raison d’erreurs judiciaires.
Sachez aussi que près de la moitié de ces 1000 exécutions qui ont été perpétrées aux États-Unis depuis 1976 ont eu lieu au Texas et en Virginie. Que 80% d’entre elles ont eu lieu dans le Sud du pays. Songez enfin que la peine de mort n’a aucun effet dissuasif particulier. Vous comprenez alors, en partie, les raisons de lutter contre le meurtre légal, froid, planifié. Mais en partie seulement. Car il y a plus important encore.
C’est que, répétons-le, le meurtre judiciaire est un affront à la dignité humaine. Lors d’une exécution capitale, certains n’entendent résonner qu’un seul glas. C’est une erreur. Écoutez mieux. Il y en a deux. Le glas sonne d’abord pour le condamné à mort. Puis il sonne pour la société qui le tue, qui meurt elle aussi, à chaque fois, un peu, de ce meurtre qu’elle commet. C’est que le meurtre judiciaire ne fait jamais une seule victime et le sang des condamnés à mort rejaillit sur chacun de nous. C’est ainsi qu’à chaque exécution, c’est un peu de notre humanité commune qui est mise à mort. Chaque échafaud que l'on dresse, chaque guillotine que l’on monte, chaque chambre de mort que l’on prépare, retarde le jour où le sombre rocher de Sisyphe cessera de rouler et le fait s’abattre lourdement sur nous, fait grossir ce bloc de haine, de misère, de malheur et d'ignorance qui nous oppresse depuis trop longtemps.
Vous voulez absolument éliminer des coupables? Prenez vous–en a ceux-là! Tuez la misère! Tuez l’ignorance! Tant que la peine de mort existera, il fera nuit. Nuit dans les tribunaux. Nuit sur la justice. Nuit sur nos vies. Nuit sur la Terre.
Arrivera-t-on bientôt à la levée du jour? Il y a des raisons de l’espérer. Il y a des raisons de le penser. Il y a des raisons de le croire. Notre présence ici ce soir en est une. Chaque geste posé, chaque note chantée, chaque mot prononcé contre la peine de mort fait grandir le rayon de lumière.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les premiers abolitionnistes. D’autres, hier, aux Etats-Unis justement, luttaient pour abolir l’esclavage, cet autre crime suprême contre l’humanité. Quand William Lloyd Garrison fonde sa société anti-esclavagiste, il est à toutes fins utiles seul. Dix ans plus tard, le nombre d’adhérents est énorme, de nombreux journaux et organisations existent, se battent, espèrent, se battent en espérant, espèrent parce qu’ils se battent. À une vitesse fulgurante, les idées abolitionnistes gagnent du terrain. Bientôt le mouvement est irrésistible et irréversible.
Et il vaincra.
Le fait est qu’il y eut un 13 juillet 1789, qu’il y eût une jour d’avant l’abolition de l’esclave, un jour d’avant la fin de chaque guerre. Qu’il y aura, demain, un jour d’avant la fin de la peine de mort, un jour d’avant le Jour.
La leçon des abolitionnistes d’hier vaut pour ceux d’aujourd’hui. Et c’est même à d’ex-esclaves ayant lutté pour l’abolition de la sordide institution que je demanderai de nous le rappeler, en leurs mots, comme autant d’encouragements à lutter à notre tour, sans désespérer et parce que la vérité et la justice finiront par l'emporter.
Voici Frederick Douglass, ex-esclave s’étant appris lui-même à lire et à écrire et devenu orateur, philosophe et homme politique : «Toute l’histoire des progrès de la liberté humaine démontre que chacune des concessions qui ont été faites à ses nobles revendications a été conquise de haute lutte. Là où il n'y a pas de lutte, il n'y a pas de progrès. »
Voici Harriett Tubman, ex-esclave étant retourné à de très nombreuses reprise dans le Sud, au risque de sa liberté et de sa vie, pour ramener au Nord des esclaves : «Je ne laisserai personne derrière moi, je n’abandonnerai personne»
Nous non plus!
Je vous propose de laisser le mot de la fin à un proverbe africain qui nous dit sagement que «La meilleure façon de prédire l’avenir est de travailler à le faire advenir.»
Laissez-moi donc vous prédire l’avenir.
La peine de mort sera universellement abolie. La nuit finira.Le jour se lève.
Normand BaillargeonCabaret La TulipeMontréal, 4 décembre 2005